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Alors que le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés à l’école ordinaire n’a jamais été aussi important et que l’école inclusive est désormais inscrite dans la loi Pour une école de la confiance, la rentrée 2022 devrait être difficile pour ces élèves. Ils risquent d’être les premières victimes de la pénurie de personnel.
Bonne nouvelle, le Covid ne s’est pas invité pour cette rentrée. L’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap ne sera pas entravée, comme en 2021, par un protocole sanitaire limitant les brassages. Et, comme le souligne le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye lors de sa conférence de presse de rentrée le 26 août, la scolarisation des élèves en situation de handicap progresse de 6% par an depuis 2017. Ainsi, 430 000 élèves en situation de handicap devraient pousser les portes des établissements scolaires le 1er septembre. Toutefois la photo de rentrée risque d’être un peu moins heureuse pour des enfants doublement victimes de la crise des métiers de l’accompagnement et de la pénurie d’enseignants.
Depuis quelques jours, les témoignages de parents désespérés se multiplient sur les réseaux sociaux et sur le site marentree.org initié par l’Unapei : « Yasser est scolarisé à temps partiel en cours préparatoire (CP) en attendant une place en institut médico-éducatif (IME) ». « Mon fils était scolarisé dans une classe Ulis (pour unité localisée d’inclusion scolaire) l’année dernière mais pas du tout adaptée à son trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. […] L’enseignante référente m’as promis que mon fils aurait une place dans une classe Ulis dans une école dans ma ville en attendant une place en IME. L’ancienne école de mon fils a viré mon fils de ses listes en donnant sa place a un autre enfant et en me souhaitant bon courage… mais nous sommes en août et mon fils n’est toujours sur aucune liste…«
Passer du quantitatif au qualitatif
Depuis des années le secteur associatif réclame au delà des chiffres un bilan qualitatif de la scolarisation des élèves en situation de handicap. En effet, un enfant scolarisé 2 heures par semaine est comptabilisé de la même façon qu’un enfant scolarisé à temps plein. Il n’est pas non plus possible de savoir combien d’enfants le sont dans le respect de la notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). « Nous avons décidé d’enquêter dans notre propre réseau, explique à Hospimedia, Sonia Ahehehinnou, vice-présidente de l’Unapei. Nous avons recueillis des informations sur près de 8 000 enfants accueillis dans nos établissements. Résultat : plus de la moitié d’entre eux ont moins de 6 heures de scolarisation par semaine.«
D’après l’outil de suivi de scolarisation de l’Unapei, sur les 7 949 enfants accompagnés :
- 18% ne sont pris en charge par aucun enseignant ;
- 33% ont entre 0 et 6 heures de scolarisation par semaine ;
- 22% ont entre 6 et 12 heures ;
- et seulement 27% bénéficient de 12 heures ou plus.
Si le site gouvernemental Mon parcours handicap précise que le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (Gevasco) concerne tous les enfants scolarisés, y compris les élèves accueillis dans un établissement médico-social, dans la réalité seul un tiers des enfants suivis dans les structures Unapei interrogées en disposent. « Le médico-social n’a pas non plus accès au nouveau livret de parcours inclusif ( lire https://abonnes.hospimedia.fr/articles/20210621-education-le-decret-precisant-l-intervention-du-medico), même en cas de scolarisation partagée », se désole Sonia Ahehehinnou.
De plus, seuls 66% de l’ensemble des enfants de l’enquête Unapei sont inscrits dans la base élève du ministère de l’Éducation nationale. « En refusant de les inscrire, on les invisibilise, souligne Sonia Ahehehinnou. Nous ne cessons de réclamer des enseignants pour nos unités d’enseignement (UE) qu’elles soient internes ou externalisées. Difficile d’en obtenir quand les deux tiers de nos jeunes ne sont finalement pas considérés comme des élèves. Alors dans cette période de pénurie d’enseignants, inutile de préciser que nous sommes les derniers servis. » Il manque des enseignants spécialisés depuis des années. Dans le médico-social comme dans les Ulis, de nombreux postes sont occupés par des enseignants qui n’ont pas été formés au handicap. Par exemple l’Unapei note que dans l’Eure, seuls 20% des enseignants collaborant avec ses structures sont spécialisés et que chacun a en moyenne la charge de 32 enfants.
Un manque d’enseignants qui pénalise les plus fragiles
« Pour cette rentrée, le ministère de l’Éducation nationale est confronté à des difficultés de recrutement d’une ampleur inédite et autant dire que dans ces conditions entre l’attribution d’un enseignant dans une classe de 10 élèves au sein d’un établissement médico-social ou dans une classe de 30 élèves dans une école, le choix est rarement en notre faveur« , commente Jean-Louis Garcia, président de l’Apajh. À ces difficultés de recrutement s’ajoutent celles du médico-social et certains IME ont d’ores et déjà annoncé qu’ils réduisaient leur temps d’accueil.
Le ministère de l’Éducation nationale a également promis le recrutement de 4 000 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). « Ce qui signifie que de nombreux enfants en situation de handicap ne pourront faire leur rentrée le 1er septembre en même temps que les autres, c’est le contraire de ce qui est souhaitable en matière d’inclusion« , poursuit Jean-Louis Garcia. « Comme pendant le confinement, on éloigne les personnes en situation de handicap car la situation est plus complexe à gérer, enrage Sonia Ahehehinnou. Dans le Finistère, nous sommes confrontés à la suppression pure et simple de la scolarisation partagée. Nos jeunes n’ayant plus accès à l’école ordinaire, cela réduit mathématiquement le besoin en enseignants« .
Pour les familles, c’est toujours le grand écart entre les besoins de l’enfant, bien notifiés ou non par les MDPH, et la réalité des solutions sur le terrain. « J’ai en tête un enfant qui a eu une notification pour un suivi par un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad). Aucune solution ne lui a été proposée pendant deux ans. Les troubles du comportement ont augmenté, maintenant il a une notification pour un IME. Et là on passe à quatre ans d’attente. Notre système mal dimensionné crée les situations complexes », assure Sonia Ahehehinnou. « Un enfant qui n’a pas de place en IME, devrait au moins aller en Ulis, estime Emmanuel Guchardaz, référent scolarisation de Trisomie 21 France, mais les Ulis veulent souvent fonctionner avec des enfants déjà « bien inclus « alors l’élève se retrouve en classe ordinaire avec un AESH. » « Et quand ça craque, il finit à la maison sans scolarisation du tout« , ajoute Danièle Langloys, présidente d’Autisme France.
L’urgence de la concertation et la coopération
« Il ne s’agit pas de remettre en question la bonne volonté du Gouvernement affichée lors du dernier comité de suivi de l’école inclusive (lire https://abonnes.hospimedia.fr/articles/20220726-education-300-unites-localisees-pour-l-inclusion), affirme Jean-Louis Garcia, président de l’Apajh, mais de sortir tous ensemble de cette situation car il y a urgence à renforcer vraiment la coopération entre l’Éducation nationale et le médico-social. Quand on travaille ensemble en bonne intelligence, ça fonctionne. Les premiers retours que nous avons sur les équipes mobiles d’appui à la scolarisation (Emas) sont bons. Nous pouvons également contribuer à la formation des AESH.«
Toutes ces questions doivent être mises sur la table dans la construction du décret coopération. Depuis sa première version retoquée en juin 2021 par le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH, lire https://abonnes.hospimedia.fr/articles/20210621-education-le-decret-precisant-l-intervention-du-medico ), la coopération semble également tourner au ralenti entre les services de l’État et les représentants du secteur sur l’écriture d’une deuxième mouture. « Cela fait des mois que l’on ne nous a plus rien présenté, regrette Emmanuel Guichardaz, qui est également assesseur de la commission éducation du CNCPH. En attendant, sur le terrain, de leur propre volonté ou poussées par les ARS, de plus en plus de structures s’organisent en dispositif intégré sans cadre institutionnel clair.«
Pour la première fois cette année, Trisomie 21 France, qui déploie essentiellement des services pour accompagner dans le milieu ordinaire perd des prises en charge au profit des dispositifs. « Nous sommes confrontés, en plus des crises RH, à une absence de pilotage de la transformation de l’offre dans le secteur enfance. Nous ne pourrons plus longtemps faire l’économie d’une vraie réflexion sur la place des Sessad autonomes. La concertation sur l’école inclusive annoncée au mois de juin n’a toujours pas été amorcée, il y a pourtant urgence« , conclut Emmanuel Guichardaz.
Autisme : PCO, UEMA … et après
« Malonn, 6 ans est autiste non verbal sans déficience. Après avoir été trois ans en unité d’enseignement maternelle autisme (UEMA) il est temps de partir vers de nouveaux horizons. Mais lesquels ? Malonn va aller en grande section/CP par obligation car aucune structure comme un IME ne veut le prendre, soit parce qu’il doit être trop surveillé […] soit il n’y a pas de place ou trop peu de personnel. Cette année Malonn va perdre son suivi, perdre son orthophoniste, sa psychomotricienne, etc. » témoigne sa maman sur le site marentrée.org.
Une situation loin d’être isolée, selon Danièle Langloys : « Nous constatons que la majorité des enfants qui sortent d’UEMA ne peuvent pas continuer une scolarité ordinaire avec l’aide d’un AESH qui n’est pas formé aux particularités complexes des troubles. Aujourd’hui le délai moyen d’attente pour un IME adapté est entre deux et sept ans, deux à cinq ans pour un Sessad. Les UE élémentaires autisme ne sont pas censées prendre le relai. De plus, elles ne sont pas assez nombreuses et sous-dotées en moyens humains. » Les plateformes de coordination et d’orientation (PCO) ont dépisté 30 000 enfants avec des anomalies de développement dont 40% relèvent de l’autisme mais les conditions de leur scolarisation n’ont pas encore été pensées.
Emmanuelle Deleplace